CHAPITRE VI
Quand l’Aristote réémergea dans le continuum, à la quatre-vingt-deuxième heure de vol, Dan Seymour, l’Agent Spatial, se laissa choir dans son siège pressurisé et poussa un long soupir.
Il se demandait encore par quel miracle le navire endommagé avait pu franchir les amas de matière géante gravitant dans la zone des « tourbillons », et surtout comment on avait pu plonger dans le temps négatif avec seulement quatre réacteurs sur six.
A chaque minute, à chaque seconde, on avait frôlé la catastrophe, mais ce qui restait de l’Aristote avait tenu le coup, et cela, il faut l’avouer, au grand étonnement de tout le monde.
A présent, Seymour concentrait son attention sur l’écran télévisif circulaire qui trônait sur son socle au milieu de la chambre de contrôle.
Bientôt, l’image commença à se rapprocher très rapidement, ce qui indiquait que l’astronef descendait à toute vitesse vers la première planète.
C’était un petit monde d’un volume à peu près égal à celui de la Lune, possédant une gravité de 0,8. Des cinq planètes gravitant autour de Timor, celle-ci était la seule, d’après les résultats fournis par les ondes spatiales, à posséder une atmosphère oxygénée et des conditions de vie semblables à celles de la Terre.
Il était donc pensable que Morgan avait pu choisir cette planète comme terme de son voyage.
Il était également possible qu’une avarie imprévisible l’ait bloqué sur ce monde en lui ôtant tout espoir de retour.
De toute façon, il fallait prendre sans attendre les mesures nécessaires pour retrouver les naufragés, et cela dans les délais les plus brefs.
Pendant un instant encore, Seymour suivit l’agrandissement vertigineux de la petite planète inconnue, puis il se porta vers l’intercom.
— Décélération sur réacteurs 4 et 6… Contre-poussée à 4 000 unités…
Les frémissements qui se répercutèrent clans toute la structure du vaisseau prouvèrent que Mervin et O’Connor avaient parfaitement exécuté la manœuvre.
Seymour revint vers l’écran télévisif et jeta un nouveau regard. l’Aristote franchissait une masse nuageuse compacte et, dans l’échancrure des nappes floconneuses, on aperçut enfin la surface vers laquelle l’astronef descendait en décélération constante, équilibré par la force de sustension de ses jets.
On pouvait apercevoir nettement de longues étendues verdâtres se prolongeant à l’infini en direction de systèmes montagneux nettement dessinés et d’océans immenses dont la surface miroitait sous les rayons d’un soleil jaune d’or.
Seymour fit couper les contacts thermonucléaires, commanda la mise en service des jets à propergols chimiques puis descendit sur le pont inférieur.
— Certes, dit-il de sa voix calme et mesurée, c’est un peu comme si nous voulions chercher une aiguille dans une meule de foin, mais, avant d’entreprendre les recherches, je pense que nous ferions bien de faire connaissance avec ce petit monde.
— Ça a l’air drôlement sympa, émit O’Connor avec un large sourire, et puis, cela nous permettra peut-être de renouveler nos provisions de route. Dans le fond, je n’ai rien contre les pilules, mais ça ne vaut tout de même pas un bon beefsteak ou une friture bien dorés, vrai ou faux ?
— Comme si c’était le moment de penser à ça ! soupira Lurbeck penché sur ses appareils.
— Par Sirius, tu en as de bonnes, grogna O’Connor. J’ai déjà perdu six kilos depuis le rationnement et tu as le toupet de me dire ça.
— Peuh ! Six kilos ! C’est soixante que tu aurais dû perdre, et il t’en resterait encore assez pour tenir un an rien qu’en mangeant de la salade.
— C’est ça, mon vieux. Alors, commence par me trouver de la salade, hein ? Pour le reste, on en discutera.
— Attention, coupa l’Agent Spatial, fixez tous vos ceintures de sécurité.
*
* *
L’Aristote s’était posé sur une étendue herbeuse couverte de graminées jaunes, non loin des rivages d’un petit lac paisible aux vagues légères.
Un calme paradisiaque régnait sur cette contrée d’une beauté prenante et d’une douceur extraordinaire, d’où se dégageait une impression de calme et de sérénité qui leur faisait penser que ce monde-là était une pure merveille comme la nature en a le secret. L’air lui-même était d’une douceur inhabituelle, chargé de parfums légers.
L’Agent Spatial attendit que le sol se fût suffisamment refroidi autour de l’astronef pour donner l’ordre d’évacuation.
Seul, Spencer demeurerait à bord, pour assurer la liaison en cas de danger. Convenablement équipés, les autres abandonnèrent l’appareil et prirent la direction du Nord.
Un rapide examen, dans un rayon de cinq cents mètres carrés, permit de renforcer l’opinion.
Ce petit monde était un véritable Eden, avec ses cascades, ses torrents charriant une eau claire et limpide, et courant entre des rochers couverts d’un tapis de mousse aux reflets chatoyants.
Des arbres se dressaient, avec leurs larges feuilles qui se balançaient mollement sous la caresse d’un vent léger dont les murmures presque musicaux se perdaient dans les ramures et les hautes frondaisons piquetées de petites fleurs sanguines.
— Voilà le pays de mes rêves, s’extasia O’Connor en respirant à pleins poumons. Si j’ai la chance d’arriver entier jusqu’à la retraite, eh bien, je crois que c’est ici que je viendrai planter mes choux. Non, mais regardez-moi ce bled… de quoi faire pâlir de jalousie le plus grand des fortiches, non ?
— Je vous accorde les choux, lança Cora qui ne cessait de scruter le terrain devant elle, mais, pour ce qui est des chèvres, je ne pense pas que vous ayez beaucoup de dégâts à cause d’elles.
— Que voulez-vous dire ? demanda Seymour en se rapprochant.
Cora se redressa.
— Je ne sais pas, mais j’ai l’impression qu’il n’existe aucune vie animale sur ce globe. Regardez : pas la moindre trace… pas le plus petit insecte… et pas un oiseau. Rien ! Vous ne trouvez pas ça curieux ?
Dan jeta un coup d’œil autour de lui.
— Vos jugements sont peut-être un peu trop hâtifs. Il doit certainement exister une vie animale. A nous de la découvrir.
— Eh ! Commandant !
Il se tourna vers Mervin. Le grand garçon à la tignasse flamboyante était dans l’herbe, à quatre pattes, avec son analyseur branché sur la tige souple d’un végétal.
— De l’arsenic, s’écria-t-il. Cette chlorophylle bizarre produit de l’arsenic. Et c’est pareil pour tous les autres végétaux. Ça fait le dixième que j’analyse. Ma parole, toute cette végétation est empoisonnée.
L’Agent Spatial se pencha à son tour, promena l’analyseur dans les herbes, puis hocha la tête en se tournant vers O’Connor.
— Eh bien ! ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on te ramassera de la salade !
O’Connor émit un grognement, mais, à cet instant, la voix de Spencer résonna dans le petit poste de radio que Seymour portait fixé sur sa poitrine.
— Allô ! commandant ?
— J’écoute.
— Je viens de repérer un champ émetteur dont l’épicentre pourrait se situer à trois cent cinquante-Cinq kilomètres Nord-Est.
Dan se raidit légèrement.
— Pouvez-vous établir le contact ?
— Impossible. Je ne capte que des chuintements, des sifflements et du fading. Rien ne passe !
— L’Encelade ?
— Ça se pourrait.
— Très bien. Nous arrivons immédiatement.